LES LECTURES DU MOIS EN COURS
MERCI DE NOUS LIRE...
LE LOUP DE MER
La légende raconte que les marins ont une femme dans chaque port ; la chanteuse Barbara murmurait dans sa chanson : Dis, quand reviendras-tu ? « Je n’ai pas la vertu des femmes de marin ».Estelle aurait pu être une vraie femme de marin !
Lors d’une escale à Brest, je suis tombé fou amoureux d’une bretonne à la beauté sortie tout droit d’ un tableau du peintre vénitien, le Tintoret. Elle s’appelait Estelle.
Tombé ! Voilà le joli mot, en chute libre, comme un pantin désarticulé ! Touché en plein cœur par cette beauté blonde, à la chevelure de fils d’or. Le cou orné de coquillages. Je jurais de n’aimer qu’elle, de renoncer à naviguer, de renier mon passé de marin, de m’ancrer dans la région, de lui faire des enfants. J’aurai voulu être poète pour chanter ses louanges, être peintre pour caresser ma toile des courbes sensuelles de son corps.
La belle s’abandonna à ma passion ; je me consumais d’amour pour elle. C’était elle ma vague, tantôt douce et docile, tantôt houleuse et tumultueuse, qui répondait à mes envies. J’étais enchainé à mes désirs.
Mais un soir d’insomnie, alors que j’errais le long du port, j’eus la sensation que le ressac de la mer me murmurait des mots oubliés, des sensations enfouies, la brise m’enivrait de parfums iodés, et comme une malédiction, une force empoigna mes sens, pour déclencher en moi l’appel du large !
N’avais-je pas juré et promis de finir mes jours auprès d’elle ?
Comme un voleur, Ce fut en toute hâte que je filais chez moi pour faire mon baluchon et lâchement, courir à l’aube jusqu’au port, pour embarquer sur le premier navire en partance pour l’ aventure.
Sur une table je lui écrivis un mot, avec ma photo, pour lui dire que je reviendrai très vite, que mon départ n’était qu’une escapade passagère.
Lorsque je revins quelques années plus tard, j’appris qu’elle s’était éteinte de chagrin, qu’elle m’avait attendu chaque jour à la pointe de la digue, figée, tel un phare, que rien, même la vague déchainée sur elle ne pouvait éloigner. Elle ne se résigna jamais de cette attente interminable, elle resta là, stoïque, animée par l’espoir de mon retour.
Lorsque l’on ne distingua plus sa silhouette à l’horizon, le village s’inquiéta, on la retrouva, tel un gisant, morte dans son lit, mon portrait entre ses mains.
Mon chagrin fut immense et mes remords si grands, que longtemps je cessais de naviguer, pour aller me recueillir sur sa tombe et invoquer son pardon.
Bateau perdu
Nous sommes au large de la Floride, en mer une tempête fait rage et le temps devient pluvieux alors que la météo avait prédit du beau temps.
Le bateau de Jeanne une femme marin a disparue.
Dans un bar, son mari qui regarde la télé apprend sa disparition.
Des années plus tard, des enquêtes démontreront que les disparitions sont liés au Triangle des Bermudes, est-ce une légende ?
COMME DES LARMES
Au bout de la jetée qui marche dans la mer
Sirène échevelée dressée comme un amer
La femme du pêcheur dans son vieux sarrau noir
A le cœur en haillons des rêves illusoires
Sa frêle silhouette tendue vers l'horizon
Elle attend que le vent froid du septentrion
Ramène entre ses bras le mari et le père
Parti en de lents mois pour la pêche hauturière
Elle ne sait quand viendra cet instant du retour
Où la coque chargée par les filets trop lourds
Echappée au typhon au naufrage aux tempêtes
Entrera dans le port au piqué des mouettes
Elle chiffonnera son mouchoir de baptiste
Un instant seulement oubliera d'être triste
De sa maison sans homme sa peine et ses alarmes
L'écume et le crachin feront comme des larmes
LA FEMME D’UN MARIN
Arrêtons d’enfermer la femme d’un marin
Dans la vertu de veuve devenant cellule,
Son âme forte doit surmonter le chagrin
Telle une suppliciée qui jamais ne recule,
Acceptant le destin avec abnégation,
Car conditionnée à vie dès son premier âge
A devoir s’enfermer dans la résignation,
Et contenir ses pleurs pour montrer son courage.
Etre veuve n’est pas une fatalité
Mais plutôt un tribut à payer sur la terre,
Pour glorifier la mort du mari emporté
Par la mer oublié dans son grand cimetière.
Et la femme devint marin…
Elle dit : ma mère restait à terre 8 mois toute seule après avoir suivi longtemps des yeux, debout à la pointe, le départ des goélettes qui emmenaient son homme sur les bancs de Terre Neuve et d’Islande.
Elle dit : la mer est une compagne pour lui, elle doit l’être pour moi…
Elle dit : ma mère s’habillait toujours en noir, en deuil d’un père, d’un frère, d’un fils…
Elle dit : une vie faite d’adieux, de mariées en noir…
Je vous le dis : elle a pris la mer, elle aussi, en femme pionnière. Elle n’ira plus chanter l’espoir, étranglée de larmes dans la petite chapelle de la pointe, elle n’allumera plus un cierge à Notre Dame des marins pour chercher un vain réconfort.
Je vous le dis : elle a pris la mer, elle n’oubliera jamais les statues de pierres qui remercient encore à bon compte ses soeurs, les femmes victimes silencieuses en attente face à l’océan. Statues bras ouverts.
Elle ne se reconnaît plus. Est-ce à elle ce visage tanné? Ces mains gonflées, ce bleu de marin, ces bottes godillot? Elle a épousé le roulis les reins musclés et douloureux.
Qu’importe ces transformations, à l’échelle de l’Océan, les soucis terrestres n’existent plus.
Il n’y a plus ni attente, ni douleur, ni chagrin dans l’engagement. Dans l’expérience de la mer, il y a toute la précarité de la condition humaine. Et alors ?
Je vous salue Femmes-Marins! Mécaniciennes et pêcheuses de la Bretagne, du golfe de Gascogne, des Landes et d'Espagne, de l’extrême ouest où l’océan rugit.
La femme d’antan a disparu, une autre est née sculptée par l’Océan.
RETROUVAILLES FAMILIALES
Sur la jetée, les femmes âgées pleuraient
Les plus jeunes virevoltaient, dansaient
Par-delà le phare, les marins revenaient
Bientôt, le chalutier fut amarré au quai
Les longues nuits sans pouvoir dormir
Accumulées en tas de vieux souvenirs
D’interminables journées de dur labeur
Abandonnées dans leur folle ardeur
Des adolescents aux gestes chamailleurs
Regroupés sur une bute et ses hauteurs
Ayant vu se profiler le lent accostage
Aussitôt, se ruèrent vers des pères sans âges
Silhouettes rompues, amaigries, fatiguées
Que les grands océans avaient épargnées
Leurs corps étaient las, les esprits là-bas
Papa, j’ai bien cru que tu ne reviendrais pas !
Les mères accueillirent les hommes à terre
Ils retrouvèrent leurs foyers, leurs chaumières
Longtemps déphasés, ils attiseront le feu,
Les plus petits se blottiront contre eux
Les épouses serviront ces voyageurs heureux
Dégustant les mets et délices d’un retour
Aiguisé par la puissance de l’amour.
Femme et mère de marin
Elle longeait obstinément le haut de la falaise, silhouette noire inquiétante. Son voile de veuve flottait au vent et nul ne parvenait à la raisonner. En proie à une intolérable inquiétude, Jusqu’à la nuit tombée, elle déambulait scrutant l’horizon
Elle avait déjà payé un lourd tribut à la mer vorace qui engloutissait par mauvais temps, navires et matelots. Son homme, parti pour la pêche à la morue, n’était pas revenu et à présent, c’était l’aîné de ses cinq enfants qui avait pris la mer, sans se douter que c’était la mer qui prenait les âmes. Voilà quinze jours que son bateau aurait dû être à quai, voilà quinze jours qu’elle usait son cœur et ses yeux à guetter chaque navire, revenant au port. Autrefois La perte cruelle de son homme l’avait terrassée. Pourtant, quelquefois, lorsqu’il revenait de ses virées en mer, elle allait le chercher à la taverne ou il retrouvait dans l’alcool, les rires et les chants, la chaleur de l’amitié des gens de la mer. Elle avait accepté en l’épousant, le sort des femmes de marins, certaine d’y échapper, mais la fatalité avait eu raison de son espérance.
A présent, c’était son fils, chair de sa chair qu’elle attendait et il était inconcevable que celui-ci ne lui revienne. Cette attente lui rongeait les tripes, elle maudissait la terre entière et surtout l’océan. Et si un jour, l’espoir l’abandonnait, elle irait le chercher en plongeant sous les vagues froides et tumultueuses de la mer.
La femme du marin
Elle est jolie
La femme du marin
Mariée hier à la mairie
Sous un ciel incertain
Sa robe était d'un blanc immaculé
Comme elle aujourd'hui
Debout sur la jetée
En attendant la nuit
Elle ne connait pas encore la peur
D'un coup du sort ; le savoir périr...
Elle ne connait pas encore les pleurs
De celles qui ne l'ont pas vu revenir
Elle n'a pas encore les cernes bleuis
Au-dessous de ses paupières
Marque des insomnies
De celui qui veut crier Terre
Lorsque le jour apparait
Et qui voit sa femme qui lui sourit
Au bout de la jetée
Après tant de nuits
Elle était jolie devant l'océan
La femme du marin
Il y a de cela 30 ans
Sur la jetée le matin.
Première pêche au chalut
Sur le pont arrière, le filet venait d’être monté,
À l’intérieur, des poissons entassés, paralysés
Se retrouvaient pris au piège, muets, effrayés,
À leur vue, le jeune matelot demeura pétrifié.
Tous ces regards ronds dépourvus de paupières
Ces bouches béantes soumises à cette galère,
Ces écailles par milliers brillant tel l’argent,
lui déchirèrent le cœur, lui glacèrent le sang.
D’épuisement s’éteignirent les tressaillements.
Il fit le nœud de raban fermant le cul du chalut,
Et aperçu dans les mailles, un hareng perclus.
Pris de compassion, il dégagea le petit poisson,
Le jeta à l’eau, et entendit maugréer Raymond.
Pêcher impose de laisser nos remords au vestiaire,
Fiston, tu devras t’aguerrir à ce métier de la mer.
Être marin pêcheur restait son vœu le plus cher.
LA TRAHISON
Dans la fumée de la taverne du port, les rires tonitruants des marins dominaient la voix langoureuse de la chanteuse, portée par les accents nostalgiques d’un accordéon.
À travers les volutes de fumée, sur les visages des hommes à la peau burinée et parcheminée, on pouvait deviner leurs aventures de marins.
Au fond de la salle, attablé devant une pinte de bière, Pierrot le vieux marin s’était isolé. Son air bougon ne laissa pas indifférent Bertrand, son ancien coéquipier ; il vint s’asseoir près de lui.
— Oh, Pierrot, tu ne vins pas avec nous ? Qué to que t’as, oh va pas ?
— Asteur, je préfère rester seul !
— Serais-tu souffrant ?
— Asteur, même pas, figures theu !
— Marie Rose ?
— Elle, ça m’étonnerait !
— Si tu rumines, c’est que tu n’as pas digéré la soupe d’hier !
— Asteur, c’est le drôle qui nous prend la tête en c’moment !
— Justement, je m’ disais que ça faisait bien trois mois que je n’ l’avais pas vu embaucher sur le chalutier de Menard !
— Tu ne risques pas de le revoir, hélas il est parti vivre à Paris !
— À Paris ? Allons bon la belle affaire ! Quelle mouche l’a piqué ? Il me semble pourtant qu’il devait embarquer sur la Royannaise !
Essuyant ses yeux, Pierrot rajouta d’une voix triste :
— Asteur que non ! C’est plutôt une baignassout qui me l’a embarqué !
— Comment ça une baignassout, je n’vois pas le rapport, tu veux dire une touriste ?
— Le rapport asteur, c’est que mon drôle a rencontré sur la plage de Foncillac une drôlesse, une baignassout, avec un maillot si p’tit, que tu croirais de dos qu’elle porte un fil dentaire et que, tombé fol amoureux d’elle, le vla parti là-bas sur une autre planète !
— Te mets pas la rate au court-bouillon, il va revenir, c’est une passade ! On revient toujours vers l’Océan ! C’était l’ plus hardi de nos pécheurs, toujours prêt pour les lointaines virées en mer !
— Oh je n’ crois pas ! Le drôle a bien mordu à l’hameçon. Finis la pêche, les vagues, les sentiers douaniers, tout ça, poubelle ! Pire il vit sur une péniche, comme un marin d’eau douce !
— Tu vois, il a besoin d’être sur l’eau et de marin il sera marinier !
— Même pas ! La péniche reste amarrée à quai tout le temps, sur les bords de Marne, un vrai naufrage !
— Ce sera une occasion pour vous d’aller voir Paris, sa tour Eiffel !
— Asteur, moi je l’ai ma tour Eiffel, pas besoin d’aller à Paris !
— Ha !
— Ben oui, c’est le phare de Cordouan ! N’est-il pas majestueux, et plus ancien que la tour Eiffel !
Bertrand hocha la tête, s’évertuant d’adoucir cette amertume.
— Ça va lui passer ! Il reviendra, l’océan lui colle à la peau ! a-t-il trouvé du boulot ?
Asteur, m’en parle pas ! Et se mouchant bruyamment :
— Tu devineras jamais ? : « Au rayon poissonnerie d’une grande surface » ! Quelle honte !
— Tu vois ! l’odeur iodée de la mer lui manque ! Il reviendra, c’est sûr !
— Au fait, la Marie Rose, tu l’as connue comment ?
Un grand sourire éclaira le visage de Pierrot :
— Je l’ai rencontrée sur les quais, au port de Royan ; elle cherchait un batat pour faire une virée en mer ; elle venait de Lille, elle m’a séduite sur le champ !
— De Lille ? Alors, dis-moi, c’était une baignassout !
Le Bar de la Marine
Derrière sa devanture bleue
On y est bien
On entre
On s’assoit
Ou on s’accoude au comptoir
Et on écoute
On écoute les histoires
Des vieux loups de mer
On sent l’odeur du tabac de toutes origines
Car ici on prend le droit de fumer
On touche le bois usé des tables ou du zinc
Et on perçoit les griffures gravées dessus
On y est bien au Bar de la Marine
On y voit de tout
D’abord il y a le patron
Fort en gueule et de partout
Qui interpelle ses clients d’une voix rauque et tonitruante
À côté il y a sa femme
Dégoulinante de charcuterie
Qui lui donne la réplique à tout instant
Dans la salle il y a la serveuse
Jeune et jolie
Gentille aussi
Mais attention à celui qui lui manque de respect
Au comptoir on trouve
Des jeunes gars
Pressés d’ingurgiter leur pression
Qui parlent de tout et de rien
Qui reluquent les femmes attablées
Car là il y a les tablées
Là il y a celle des femmes
Des femmes de marins partis au loin
Et qui reviendront dans quelques mois
Elles parlent de fanfreluches
De leurs enfants
De leur vie en solitaire six mois sur douze
Certaines accostent les jeunes gars
Histoire de se réchauffer le soir
C’est froid un lit quand on est seule
Et eux
Ne partent pas
Ils sont toujours là
Et puis il y a celle des veuves
Les yeux asséchés par trop de larmes
Qui parlent au passé
Sans s’apercevoir que le présent est loin derrière
Déjà
Il y a aussi celle des vieux
Celle de notre vieux loup de mer
Celle de ceux qui sont revenus
Revenants d’outre océans
Qui belotent dans un coin
À coup de vieux rhum
Qui refont l’histoire
De ce bon vieux temps de Terre-Neuve
Et qui brusquement parlent en silence
De ceux qui resteront disparus
Seul l’accordéon à côté du poêle ronfle encore
Et les souris blanches courent sur la poutre
Au-dessus de leur tête
Quand les bateaux rentrent au port
Plus de tablées
Tout le monde est debout
Chantant
Ça crie
Ça rit
Ça hurle
Ça boit
Tout le monde trinque ensemble
À la bonne chance
À la bonne campagne
À la bonne pêche
Ils retrouvent leur femme
Leur famille
Leurs copains
Et puis il y a la cloche
Qui sonne à minuit
Que secoue le barman
Pour signifier que la fermeture est proche
Après un dernier verre
Chacun et chacune s’en retourne chez soi
Bras dessus bras de sous
Brinquebalant à droite et à gauche
Imitant la houle et les roulis
Ou seule dans sa maison
Véritable prison pour celle qui attend
Qui attendra toujours le retour de l’être aimé
Quant à notre vieux loup de mer
Il s’en va sur la jetée
Et plonge son regard
Dans l’ancre noire du chenal.
MERCI DE NOUS AVOIR LUS...
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